Éclats

Même 5 ans après, il y a des images que je me rappelle avoir prises. Même après tout ce temps pendant lequel elles attendaient – encore à l’état d’images latentes, d’ions argent réduits enchâssés dans la gélatine – d’être enfin transformées en argent métallique. À la réflexion, c’est sans doute le souvenir d’une de celles-ci qui a fait que j’ai enfin fini par développer ces vieilles pellicules. Il s’agit de la photo d’un miroir brisé abandonné sur le trottoir. Il attendait sagement d’être débarrassé par les encombrants. J’avais fait une première tentative de jeu avec le reflet, ratée, mais qui m’avais permis de caler l’endroit où me positionner pour avoir une personne en entier dans le reflet, et j’avais attendu, l’œil dans le viseur, guettant absurdement et immobile que quelqu’un daigne passer sur le trottoir opposé. Je me rappelle avoir vu du coin de l’œil quelqu’un approcher, l’index prêt à déclencher. Je me rappelle aussi, juste avant que le miroir (de l’appareil) ne se relève, apercevoir le visage commencer à se tourner vers moi, juste dans un triangle de verre intact, puis le clic métallique de l’obturateur et la légère vibration du miroir. J’avais conservé cette image dans ma tête, souvenir figé dans le viseur de mon petit appareil reflex. Pendant tout ce temps, cette image me revenais à chaque fois que je voyais ces petites boîtes en plastique cylindriques dans mon placard. Maintenant qu’elle est développée et numérisée, je ne sais plus trop si elle est à la hauteur de mon souvenir. Tout ceci est bien subjectif et mon jugement est faussé par l’affect. En tout cas, la voici.

Film n°73, vue n°16, Dijon (2012).

Pentax ME – 40 mm f/2.8 SMC
Kodak Tri X 400
Développement au Caffenol CH

Executives (2011)

Déroulement de la suite des photos exhumées.
Film n°72, vue n°29, quelque part à Boulogne, en 2011, dans les travaux de l’Île Seguin à l’emplacement des anciennes usines Renault. Toutes proportions gardées, on dirait un peu photo de René Burri…

Pentax ME – 40 mm 2.8 SMC
Kodak Tri X 400
Développement au Caffenol CH

Bonnet blanc ou blanc bonnet (2011)

Dans mon placard traînaient des pellicules non développées depuis 2011. À l’époque j’étais en pleine période photo de rue argentique, avec pour consigne : aucune photo vide, faire des images qui racontent ou évoquent quelque chose. C’était une sorte de retour aux source : l’envie de faire de la photo m’était venue initialement des images d’Henri Cartier-Bresson et je voulais m’inscrire dans cette tradition d’images spontanées de la rue. Je foulais donc les trottoirs armé de mon petit Pentax, à l’affût d’instants, de coïncidences, de lumières, ou de la concordance de tout cela. La tâche est ardue et ingrate : des heures de marches pour peu de bonnes images, beaucoup d’occasions ratées par manque de rapidité, par manque de courage (allez donc lever votre appareil « sans raison » devant les gens), ou tout simplement par loupé technique. À ces difficultés initiales s’ajoutait la réticence à manipuler des produits chimiques plus ou moins toxiques, qui me faisait retarder le développement des films. Pour finir mon scanner de négatif rendit l’âme et compliqua le traitement déjà complexe des images. J’ai donc laissé s’accumuler 5 pellicules non développées, plus d’autres inachevées dans leurs appareils respectifs, avant de laisser tomber, tournant la page de la rue pour attaquer le grand format au caffenol.
Il faut croire que je fonctionne par cycles. Un peu lassé des images au sténopé, poétiques mais vides, l’envie de photos habitées est revenue. Je suis redescendu en format, passant du 5×7 pouces au moyen format, avant de me rappeler de ces pellicules 24×36 dans le placard. Six ans après je les ai donc finalement développées, avec cette mixture caféinée que j’ai moins de réticence à manipuler et à jeter dans les toilettes. Les images m’ont redonné l’envie de la photo de rue. Évidemment, à part le révélateur moins toxique, la difficulté n’a pas changé, on verra combien de temps ma motivation durera. En attendant il y aura ici des images de 2011-2013, et des plus récentes également j’espère.

Film n°71, vue n°12

Pentax ME – 40 mm 2.8 SMC
Kodak Tri X 400
Développement au Caffenol CH